Allegro moderato = 120

je n’ai jamais voulu que marcher librement
à pas répétitifs
sur des sables secs sur l’asphalte mauve sur des branches d’arbres maigres
me percevoir comme un rythme régulier

si j’ai appris la musique c’est parce qu’elle fut pour moi une façon
nouvelle de marcher

je me souviens de l’étonnement que j’éprouvais la première fois que je vis une montre dont la trotteuse se déplaçait fluidement sans justement trotter
sans accoup comme sans effort
c’était sur une Rolex de contrefaçon qu’avait amenée Alexandre Dubois de Chine où il était allé avec la chorale de Passy
il nous montrait dans la cour de récréation ce bijou de pacotille
(j’étais secrètement fasciné que les contrefacteurs parvinrent à imiter un mécanisme apparemment si sophistiqué)
cette aiguille balayant le cadran circulaire
avec grâce me semblait arrogante comme un nageur
parcourant en apnée les fonds marins
sans s’essouffler
sans effort
sans faire

tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac. tac.

sans reprendre son souffle


je n’ai jamais aimé nager.
je n’ai jamais rien voulu d’autre que marcher —–>
je peux marcher jusqu’au matin si mes pensées m’accompagnent
ma pensée résulte de cet effort régulier et lent ce balancement qu’est celui de la marche
la marche est modeste comme la pensée
elle avance pas à pas

pour que mon cerveau se mette en marche
il faut que je —–> —–> —–> marche. Non pas que je flâne comme un vent circulaire
mais que je marche pour aller —–> quelque part un peu nerveusement
et ce même si je change souvent d’avis de direction <—–

Ma pensée —–> marche. Elle marche et je dois marcher pour la <—– suivre.
comme —–> un chien tenu par la laisse de son maître
un maître tenu par la laisse de son chien <—–
c’est elle ma maîtresse. Elle dispose de moi comme bon lui semble (même si nous sommes parvenus depuis quelques temps à instaurer des rapports plus équilibrés)
elle peut me surprendre me mener en des endroits singuliers. J’aurais souhaité que le jardin de l’EHESS et celui de l’IRMC fussent de grands bois tranquilles
où il fut possible de marcher.
à la bibliothèque je me lève souvent, je sors je vais fumer je vais aux toilettes
pour promener ma subjectivité
j’ai trop de subjectivité
j’ai trop de pensée.

quand je marche cela veut dire que je choisis mon rythme
je suis ma cause et mon effet
adolescent je frémissais en lisant les voyages à pied de Rousseau
c’était la vie que je voulais comme à l’enfance celle de Sasha dans Pokémon qui se déplace principalement à pieds
j’ai souvent regretté d’être né à cette époque de sillons réticulaires déjà connus
de cartes parfaites satellitaires
sans approximation
j’aurais aimé qu’il y eut plus d’indécision entre la carte et le territoire
que la carte n’empêche pas comme ça mon imagination
que les contours des pays soient moins bien dessinés
pour que je me perde un peu en marchant
enfant j’adorais tourner sur moi-même un certain nombre de fois pour perdre le sens de l’orientation
cela me donnait l’impression que l’espace s’étendait
que je sillonnerai en marchant des lieux déjà connus
effacer ma connaissance du monde pour le parcourir à pieds à nouveau

Lorsque je marche c’est amusant, j’ai toujours la sensation de construire
comme si chaque pas posait une brique une brique de quelque chose
lorsque je cours j’ai l’impression de détruire
ce sont deux plaisirs que je cultive également
mais qui n’équivalent pas celui du vélo
je n’aime rien tant que faire du vélo.