régulièrement je me demande dans quelle mesure j’existe
et ce que cela veut dire d’exister
je ne me pose pas la question de mon existence sociale
par exemple de savoir si je suis quelqu’un si j’ai un statut
une valeur V sur le marché M
enfin si, mais ça n’est pas ce dont je veux parler ici.
je ne me pose pas non plus la question de ma vocation de ce-pour-quoi-je suis-fait
à savoir si je suis plutôt analytique plutôt sensible INFP ENTP INTP etc.
plutôt ethnographe ethnologue poète philosophe cycliste
si j’ai bien fait d’arrêter le droit
enfin si, je me pose ces questions mais ça n’est pas ce dont je veux parler ici.
je ne me demande pas non plus laquelle de mes propriétés définit le plus souverainement mon être et si mon être est l’ensemble de ses prédicats ou si c’est autre chose
ça par contre je m’en fous tout le temps
mdr
je me pose pas non plus la question de l’intensité ou la qualité de mon existence
la question n’est pas de savoir si je vis authentiquement
si je m’accomplis si je suis un homme libre
si j’ai une vie véritable
enfin si, mais encore, ce sont des questions annexes
des questions qui ont trait à la vie plutôt qu’à l’existence
mmh, non attends
des questions qui ont trait à l’existence plutôt qu’à
l’expérience de l’existence
voilà
or je veux parler ici d’expérience de l’existence
ce truc vraiment bizarre et vraiment cool à la fois cette inclination particulière de l’esprit qui est celle de l’enfance et que certains gardent et que d’autres perdent
parce que quand on est enfant
on est encore en train de s’habituer à sa cognition
notre esprit n’en a pas encore pris tout à fait la forme
alors il y a entre nos perceptions et nous-mêmes un décalage une latence
un peu comme quand on commence à mettre des lunettes et qu’on voit
encore la monture sur ses yeux
on voit le monde et les lunettes on voit le monde et les catégories de perception du monde
c’est trop bien
donc quand je me demande si j’existe ce que je veux dire la question que je me pose
c’est celle de ma permanence
ça n’est pas une question de philosophie de l’identité (qu’est-ce qui fait la permanence de l’être en dépit de la concaténation des jours et de l’évolution de ses propriétés objectives etc.)
ou du moins c’est cette question mais vécue comme une inquiétude et non comme une curiosité
parce que j’imagine que le philosophe qui se la pose ne s’inquiète pas concrètement de ça et que c’est un jeu de l’esprit pour lui il écrit son article mais c’est du fun lui il sait ce qu’il est il est un philosophe voilà il est content bravo BRAVO
pour moi il me semble que cette question est vraiment vécue
par exemple lorsque je pense involontairement dans ma tête en une autre langue
je fais l’expérience de cette étrange dépersonnalisation
lorsque je passe la nuit comme si j’avais pensé et que pourtant
la machine dit que j’ai dormi
ce sont ce genre de perturbations qui m’occupent
ces perturbations de mon expérience au monde
il m’arrive de me sentir comme une feuille posée sur l’eau
un nénuphare
far
from myself
il m’arrive de voir tous ces
visages successifs ces images précisément que j’ai appelées
moi
et de les regarder comme
c’est fou
que j’ai pu comme ça m’identifier à autant de masques
avec une certaine
sincérité