j’ai longtemps été attaché
aux traces de mon
enfance
gardé longtemps le bracelet de
naissance
qui portait mon prénom et
ma date de
naissance
j’ai encore
dans le
tiroir
de
mon
bureau
l’échographie
faite
par ma mère
quand j’étais dans son
ventre
(comment ai-je pu être si petit ?)
c’est étrange de se voir ainsi
c’est comme un souvenir oublié de soi rappelé par des autres
je me souviens de tout j’oublie difficilement
difficilement
difficilement
enfant je m’amusais de ce que l’on disait de moi
c’est étrange comme les propriétés se distribuent dans une phratrie dans une famille dans une salle de classe
un peu arbitrairement. C’est comme s’il y avait un stock relativement limité de propriétés
certaines pouvant se multiplier (celles ayant généralement trait aux choses futiles)
voire se partager se vivre à plusieurs (certaines passions)
d’autres non (celles relatives à des caractères que l’on imagine plus essentiels, accaparés jalousement, celui-là est musicien, celui-là est comédien, celui-là est bricoleur, celui-là dessine, celui-là aime les mathématiques, etc.)
c’est tard je ne saurais dire tout à fait quand que mes goûts et mon image publique se joignirent à peu près
Je ne sais pas si le genre est une prophétie auto-réalisatrice (plutôt qu’un acte performatif) mais il est certain que la personnalité d’enfance
en est une
et il est certain que ceux qui l’annonce ignorent avec quelle aimable et bienveillante complicité
ceux qui en sont l’objet
se conforment au destin choisi pour eux
comme pour les assurer de leur autorité
dont on sait qu’elle est au fondement du sentiment de leur valeur – on le sait tôt très tôt vraiment très tôt
aussi peut-être mesquinement pour jouir
de ne pas subir la durée
pour avoir le sentiment
de la tisser avec ses doigts de la composer
de devancer l’aiguille
savoir d’avance qui l’on est – quel luxe – cela économise les forces
pour moi
j’ai toujours su ces caractères frauduleusement attribués
et puis un moment ils sont tombés de moi
cela doit être étrange pour les parents qui alors appellent ça crise d’adolescence
ignorant qu’à l’inverse c’est la crise de naissance qui prend fin
j’ai toujours su ces caractères frauduleusement attribués y compris ceux confectionnés par moi
tôt trouvé amusant l’écart entre ce que je jouais à être et les façons dont on le désignait
de là certainement ai-je acquis la certitude que tout était affaire de point de vue de désignation d’étiquetage
et suis-je à 5 ans devenu ethnologue.
*
Mais il me semble qu’au milieu de tous ces gens qui parlaient sans savoir il n’y avait que ma grand-mère qui savait me constater peut-être parce qu’elle parlait parcimonieusement en une langue qu’alors je comprenais si peu mais surtout que n’étant pas préposée à mon éducation
(contrairement aux parents qui doivent faire croître l’enfant le nourrir donc mais aussi l’élaguer le corriger le retrancher)
et finalement seulement préposée à m’aimer
(dans ma relation à elle s’entend)
sa connaissance à moi n’étant médiatisée que par l’amour était une relation de CONNAISSANCE PURE
que l’on ne retrouve jamais telle quelle ailleurs comparable à celle de l’homme qui s’abandonne [fanā’] en DIEU
***
depuis
j’ai sept-mille cinq cent une fois
cru
changer
j’ai
tantôt
voulu être
un autre tantôt
celui que je fus deux forces antagonistes
en moi se bousculent l’une accepte
ce que l’autre refuse
je me suis fait
défait j’ai formé
tant de nœuds avec la même corde
il y a en moi tant d’habitudes minuscules
l’aiguille avance et le matin bascule
l’aube ressemble au crépuscule
et le jour qui monte au jour qui
recule