mes poèmes se vendent sur des barquettes en alu à la sortie des bouches de métro se bouffent en cornet assaisonnent les marrons chauds
dans des
barquettes pleines de frittes avariées
tiens je te la sers les ongles sales
un croc crac cela
éveille la mauvaise conscience
le rictus d’ironie
homo erectus est devenu sapiens
quand son larynx
a appris le vers libre
ce qui distingue l’homme de la bête
c’est l’esprit
c’est une mauvaise idée de me lire dans ta tête
arrête
il pourrait suffire d’une rime de travers pour te donner des idées noires
j’ai vu à la télé y’a une épidémie
le vers solitaire c’est un vers libre
et ça s’attrape
dans les recueils de poésie
alors ! mon poème pourrait faire éclore des œufs !
une taie aux deux yeux !
tu verras le monde comme le poète le voit
son œil penché son regard de travers
y’a quoi ?
le rire est jaune et carié
le vers est libre le monde l’est aussi
il y a un bruit
bruit
bruit bruit bruit à la fois sourd et précis
c’est l’orage
c’est l’orage
c’est l’orage
c’est l’orage
ou le bruit que fait le clavier
cliquetis nerveux
d’un poète anthropophage
des vers dévorent et font germer le plus sûr des goûts
je veux dire
le dégoût
de la bourgeoisie — il faudrait trouver pour la désigner un meilleur mot ; pour bien qualifier ce mode d’être particulier ;
son contentement
sa courtoisie
ses bonnes manières
cette anxiété cette façon de ne pas se mélanger ce sens des limites reste à ta place moi à la mienne
sa charité bien ordonnée et sa littérature
sa science de santon sage
j’éprouve depuis quelques jours un puissant désir de voyage ou d’apostasie
les ficelles
du métier
qu’on les passe à son cou
***
sous le ramage des rapaces
les serres acérées
serrent la branche et se préparent à trancher
ils ont faim
ce ne sont pas
des chasseurs mais des charognards
ils feraient
de mon
bloc de mon pays de mon poème
de la data à deux sous
la couverture
d’une revue
à comité
de lecture
c’est ainsi que l’on fait le PQ et les linceuls
ah !
l’enfant seul
un barrissement d’éléphant
crié de derrière les barricades
qu’on le bégaie ou le dise en saccade
en salves malades
que la bourgeoisie se bouche les oreilles
ne prends pas la partie pour le tout
je ne suis pas misanthrope
c’est juste que je ne t’aime pas
au sud de l’Europe
il y a un domaine que ton père occupa
et dont je suis le petit-fils
descendants de fiers hommes dont tu fis pencher l’occiput
prends garde
***
ils sont tous similaires en petitesse
de la terre à l’espace
ils sont épouvantés : c’est un trait de l’espèce
tandis que le sauvage dépèce
met en pièces
et paît l’herbe verte
pour lui
la confiance s’hérite ou durement s’acquiert
on n’entre pas comme ça
dans un carnet d’adresse
il faut mettre un harnais ou plutôt une laisse
une muselière sur la bouche
s’enrouler comme du lierre grimpant
et puis que se redresse
la colonne vertébrale en même temps que se torde
le corps
éviter le désaccord
être d’accord
se fondre avec le décor
pas de fronde de piano désaccordé
ton deuxième métier ça sera d’accorder
tes cordes vocales à celle de la horde
de limer tes crocs pour éviter qu’ils mordent
le langage bourgeois
ne croit rien de ce qu’il déclare
a la conscience claire et les mains légères
préserve son dos
et sur les plaques de rue
oublie d’inscrire le nom du porteur fardeau
langage bourgeois jamais n’entre en crue
repère les intrus sélectionne ses recrues
point de forme
son langage est sans corps
poli
parfois drôle ensuite
moqueur
hypocrite (c’est le trait essentiel de la socialisation bourgeoise)
couleuvre boa constricteur
puis lierre décoratif
lyre grimaçante
lime menaçante
enrobage mielleux
en robe de magistrat
ou en robe de bal
avant que de l’entendre ou le voir
on le repère
à sa sueur
ce que sécrètent ses glandes sudoripares
sa puanteur particulière
c’est celle
de l’animal inquiet
***