je voulais écrire un poème mais les mots ne vinrent pas 

une première

une deuxième troisième et une quatrième fois. je supposais d’abord que c’était la fatigue. le langage est un muscle et possède ses filières énergétiques anaérobie alactique, anaérobie lactique, aérobie. il a besoin de repos. récupération reproduire la force de travail.

j’attendais donc. un deux trois quatre cinq jours. reprenait place sur ma table de travail sans inquiétude car bien certain que les mots cette fois

viendraient .

cinquième fois. cinquième fois le jour des créatures 

 

 

 

….

 

 

 

 

silence    silence. il y avait un silence tu imagines ? un silence langage 

les mots se taisaient rien ils       ne voulaient    rien dire        sixième sixième fois silence    si      lence                                  si                                                  lence silence ils                  n’avaient pas les mots  septième fois septième jour. les mots demeuraient en silence absents   absents de signifiés. peut-être avais-je traité les mots avec indélicatesse. brusquerie, sans considération de ce que les mots  avaient à me      dire dire dire dire dire     comme outils instruments force de travail exploitée payée au lance-pierre     les mots demandent à être choyés      peut-être est-ce pour cela que les professeurs de français nous enseignent le respect des belles lettres ils savent que le langage est capricieux     et qu’à force de le traiter mal il finira pas refuser qu’on le traite seulement     langage précieux     fatigues-tu ?

eh, quoi ! je ne suis pas lexicographe ou grammairien.  la poésie est un art de bâtisseur, d’artisan, et le poète ressemble plus à l’ouvrier du BTP qu’au vitralliste. hirsute, sale, plein d’éclats sur le vêtement. travail dans le bruit tactactactactac. ça pue la poussière un atelier de poète. et il n’y a que les poètes khâgneux qui se rasent avant d’écrire.

quand j’écris je suis ferronnier, je bats le fer sous tous les angles et de toutes les 
façons possible . c’est, bruyant, on a du mal à respirer, hum, touss. la poésie ça n’est pas l’étincelle c’est le béton couvert

pièce tordue dans tous les sens    à force de paraphasies 

le langage c’est la matière      première traitée… non le poète ne vénère pas le langage parce qu’il le brise, le frappe, casse la syntaxe en morceaux. quand Céline parlait de sa table de travail comme d’un établis, ça n’était pas par coquetterie 

 

et les mots . 

assoupis, interdits, nonchalants, me regardant avec cet air de dire “nous ne voulons plus être employés à cette tâche poétique cela suffit nous avons assez donné et pour quel résultat”. je me questionnais. avais-je été un plumitif ingrat ? trop  frivole ou joueur ? peu soigneux de mon langage. car qu’est-ce que la poésie, pour les mots ? n’est-pas une petite carrière ridicule et probablement la pire des carrières langagières ?  “quand on aurait pu être universitaire, employé au raisonnement, intégré dans des argumentations raisonnées et rigoureuses, franchement, la poésie… quel sous-métier”

.
..

lassés      de ces imprévisions          intempéries   temps de chien           ces mésus mots défaits        et cette littérature de temps pluvieux     

j’attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais attendais 

mais cela devenant pénible

je décidais d’investiguer.

l’investigation

cela pour déloger le caillot interposé entre le langage et moi-même. oui, tout ça fonctionne de façon réticulaire. c’est un grand réseau immense de courants divers formant une vaste toile innervant le corps poète

il fallait procéder avec méthode. cartographier. identifier le commencement du symptôme afin de remonter à la cause

était-ce une maladie physique ? 

difficile d’obtenir à ce propos des données objectives. intuitivement, je dirais que le temps consacré à mes occupations académiques consomme mes facultés poétiques. la poésie a été trompée avec l’ethnologie trop souvent. la science commence avec l’imagination mais elle ne finit pas avec elle. pour la science, l’imagination est le lieu de l’intuition scientifique, ensuite vérifiée ; c’est la faculté permettant de concevoir des dispositifs expériementaux ; mais l’imagination demeure une faculté subordonnée à l’enquête. à l’inverse dans l’art poétique, l’imagination est le principe et la fin . elle n’ignore pas le réel mais l’approprie dans cette vaste usine à gaz enfumée .

facultés

s’il existe des facultés poétiques, cela voudrait-il dire qu’existe aussi, comme pour le reste des facultés, des façons de les entretenir ? 

  • pourrait-on envisager un dépistage des maladies poétiques ? il faudrait cartographier l’inspiration poétique. et prévenir les organisateurs du prochain salon de la revue pour qu’ils installent à l’entrée de la Halle des blancs manteaux de petits. il faudrait comme l’on dépiste les maladies du corps, dépister de celles de l’âme. je ne parle pas de confession des péchés (au contraire je pense qu’ils participent à la bonne santé des facultés littéraires) mais plutôt d’examens réguliers pour vérifier la santé du  
  • et des manières de travailler son muscle ? 

ne pas vieillir

j’ai trouvé pour cela un stratagème habile. je remarquais une chose : les êtres vieillissent à mesure que passent les jours. ce sont donc les jours qui, passant sur les êtres, les affectent. pour ne pas vieillir, il suffirai donc d’éviter les socs tranchants du jour. mais comment éviter le passage des jours et leur alternance régulière ? c’était tout le défi que je tentais de relever.

ma première stratégie consistait à bloquer l’heure de tous mes appareils électroniques,  elle fut ensuite de désactiver mes horloges. ainsi, je m’asseyais toute la journée devant ces bras statiques, heureux d’avoir interrompu le temps. 

mais bientôt, je m’apercevais que les jours continuaient de défiler. c’était bien simple : la teinte du ciel évoluait du bleu pâle au blanc s’assombrissait avant de devenir orange pour enfin retrouver son visage d’innocence . eh 

. cela, d’après de savants scientifiques, résultait de la rotation du globe terrestre sur lui-même, bref, d’un mouvement.

je compris alors que le temps ne passait que 

peut-être que l’inquiétude était le moteur de mon langage et que l’ayant perdu, trop serein désormais face au monde, je ne pouvais plus écrire . 

cela commence par la paraphasie. on est paraphase lorsque l’on fait un usage  l’on inverse les syllabes. au début, cela est innocent et même amusant. on dit par exemple “voler” au lieu de “vélo” (entre la paraphasie et le lapsus la frontière peut être fine), ou plus ordinairement, “inponclet” au lieu d'”incomplet”, . il y a là de beaux accidents qui feraient le régal des amateurs d’esthétique aléatoire. mais le genre est démodé depuis que les poètes ont perdu le sens de l’humour, qu’ils venaient pourtant tout juste d’acquérir. à nouveau, ils se prennent au sérieux 

les paraphases ont plusieurs destinées ; s’ils parviennent à garder une maîtrise suffisante du langage et que le trouble n’est qu’occasionnel, leur trouble langagier est l’expression d’un esprit innovant et révolutionnaire.

ce texte de Mallarmé est très paraphasique